Le vendredi 11 juillet 2025
Du soutien pour les porteurs
Le 18 juin dernier, le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) publiait ses orientations budgétaires pour l’exercice financier 2025-2026 (https://www.calq.gouv.qc.ca/actualites-et-publications/actualites/orientations-budgetaires-2025-2026). Le milieu artistique attendait cette publication, qui annonce les choix de l’institution quant à l’usage qu’elle fera des 35 millions $ supplémentaires accordés par Québec en mars dernier (sur un budget total de 200 millions $). Ces 35 millions, rappelons-le, sont entièrement le résultat des mobilisations menées par les artistes et les travailleur⋅euse⋅s de l’art, qui ont pris d’assaut les rues et les tribunes médiatiques depuis plus d’un an et demi pour dénoncer la précarité insoutenable de celleux qui font la culture québécoise. Or, aujourd’hui, les artistes qui se sont ainsi mobilisé⋅e⋅s ne peuvent que constater qu’iels se sont fait couper l’herbe sous le pied.
La Grande mobilisation pour les arts au Québec, qui porte depuis le printemps 2024 les demandes des artistes et travailleur⋅euse⋅s de l’art indépendant⋅e⋅s, a toujours réclamé que la majorité des sommes qui s’ajouteraient à l’enveloppe du CALQ soit dirigée vers les quatre programmes de bourses à la création pour les artistes.
Pourquoi ces programmes?
Parce qu’en 2024, lorsque le ministre de la Culture et des Communications a débloqué 10 M$ dans l’urgence, l’entièreté de cette somme est allée au soutien à la mission pour les organismes.
Que, dans certaines disciplines (arts visuels et littérature, entre autres), le budget des organismes n’a aucune incidence sur les budgets de production artistique, puisque ceux-ci ne versent pour la plupart aucun cachet de production aux artistes dont ils diffusent le travail.
Que les autres programmes du CALQ interviennent en aval ou en périphérie de la création, et n’ont donc aucune raison d’être si les artistes n’ont pas le soutien nécessaire pour créer.
Que les artistes ne sont pas sorti⋅e⋅s dans la rue pour demander une augmentation des budgets pour les sorties scolaires et la circulation d’œuvres, mais parce qu’iels peinent à faire leur travail de création.
Malgré tout ça, notre revendication que le CALQ priorise une majoration des montants dédiés aux bourses de création pour les artistes n'a pas été entendue. Poursuivant sur sa lancée, l’institution augmente de quelque 15 M$ son programme de soutien à la mission pour les organismes, mais n’ajoute que 3 M$ à l’ensemble des programmes destinés aux artistes : si l’on partage cette somme au prorata des budgets respectifs des différents programmes inclus dans cette catégorie, nous arrivons à un montant additionnel probable de 1,9 M$ pour les quatre programmes de bourses à la création. Cela correspond à 5,4 % des 35 M$, un montant très en deçà de nos attentes, et surtout très en-deçà des besoins des artistes sur le terrain.
Le CALQ affirme allouer ces 3 M$ supplémentaires « pour soutenir les projets artistiques les plus porteurs ». Que sous-entend ce préambule réductionniste? Son refus de miser sur l’amélioration des taux d’acceptation médiocres des programmes de bourses à la création (autour de 21%) marque-t-il le passage d’une mission de soutien aux artistes professionnel⋅le⋅s à une mission de soutien à une minorité d’élu·e·s? Est-ce que l’administration du CALQ considère acceptable le fait que 4 artistes sur 5 qui en font la demande n’obtiennent pas de financement pour leur projet? Sur quels critères le conseil se base-t-il pour déterminer qu’un projet est « porteur », et que les autres ne le sont pas? Posons la question autrement : qu’est-ce qui fait dire à l’institution que 79% des projets que les artistes proposent ne sont pas assez porteurs?
Ce critère aux contours flous (porteurs de quoi?) n’a rien pour rassurer les artistes, auxquel⋅le⋅s on demande depuis des années d’assumer un nombre croissant de fonctions sociales, économiques, pédagogiques ou patriotiques. L’État néolibéral a ainsi pris l’habitude de compter sur les artistes pour accomplir à peu de frais toute une série de fonctions sociales dont lui-même s’est désengagé au fil des années. On peut alors questionner le fait que le CALQ consacre 6,5 M$ pour « stimuler l’accès du jeune public à la culture québécoise », au moment même où le gouvernement sabre dans les budgets scolaires, mettant en péril la capacités des écoles d’organiser des activités et sorties culturelles. Porter à bout de bras un corps social que les gouvernements ont choisi de ne plus soutenir : est-ce là la mission de cet art « porteur » auquel le CALQ entend limiter son soutien?
Revenons à la base : financer décemment la recherche et la création professionnelle des artistes québécois⋅e⋅s, en amont des objectifs de rayonnement et de développement des publics. C’est la raison pour laquelle nous étions dans la rue : c’est la raison pour laquelle nous y retournerons. Nous nous sommes battu·e·s pour que le pilier du soutien aux arts au Québec reçoive le financement indispensable à l’accomplissement de sa mission première: soutenir le milieu artistique québécois. Nous invitons maintenant l’administration du CALQ à lutter pour préserver le sens et l’essence de cette mission.
La Grande mobilisation pour les arts au Québec
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English version
Support for promising projects
On June 18, the Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) released its budget orientations for the 2025–2026 fiscal year (https://www.calq.gouv.qc.ca/actualites-et-publications/actualites/orientations-budgetaires-2025-2026). The arts community had been waiting for this announcement, which outlines how the institution plans to use the additional $35 million granted by the Québec government last March (on a total budget of $200 million). It’s important to remember that this $35 million is the direct result of mobilizations led by artists and cultural workers, who took to the streets and to the media for over a year and a half to denounce the unbearable precarity faced by those who build Québec’s cultural landscape.
Now, however, these same artists are left with the feeling that the rug has been pulled out from under them.
Since spring 2024, the Grande mobilisation pour les arts au Québec has been advocating for the demands of independent artists and cultural workers, insisting that the majority of any new funding allocated to the CALQ should go to the four creation grant programs for artists.
Why these programs?
Because in 2024, when the Minister of Culture and Communications urgently released $10 million, the entire sum went to operating support for organizations.
Because in certain disciplines (such as visual arts and literature), organizational budgets have little to no impact on artistic production, as many of these organizations do not pay production fees to the artists whose work they present.
Because CALQ’s other programs intervene downstream or on the periphery of creation, and thus are irrelevant if artists do not receive the support needed to create in the first place.
Because artists didn’t take to the streets to demand more money for school tours and touring programs — they marched because they’re struggling to do the work of creation.
Despite all this, our request that CALQ prioritize increased funding for artist creation grants has not been heard. Instead, the institution is continuing on the same path, increasing the operating support program for organizations by around $15 million, but allocating only $3 million more across all programs aimed at artists. If this amount is divided proportionally based on each program’s budget, the probable additional amount going to the four creation grant programs is just $1.9 million. This represents 5.4% of the $35 million — far below our expectations and, more importantly, far below what artists actually need.
The CALQ claims it is allocating this $3 million “to support the most promising artistic projects.” What does this reductive phrasing imply? Does its refusal to improve the dismal acceptance rates for creation grant programs (currently around 21%) signal a shift from a mission of supporting professional artists to one of backing a select few? Does CALQ’s administration consider it acceptable that 4 out of 5 artists who apply receive no funding for their projects? On what criteria does the Council determine which projects are “promising,” and which are not? To reframe the question: what leads the institution to conclude that 79% of artists’ proposed projects are not “promising” enough?
This vague concept (promising of what, exactly?) offers little reassurance to artists, who for years have been asked to take on an ever-growing list of social, economic, educational, or patriotic responsibilities. The neoliberal state has come to rely on artists to take on — often with minimal resources — numerous social roles it has itself abandoned over the years. So we must question the fact that CALQ is allocating $6.5 million “to stimulate young audiences’ access to Québec culture,” at the same time the government is cutting education budgets, endangering schools’ ability to organize cultural activities and outings. Is this what’s meant by “promising” art — art that carries the weight of a society the government no longer supports?
Let’s go back to the fundamentals: adequately funding the research and professional creation of Québec artists — before any talk of outreach or audience development. That’s why we took to the streets, and that’s why we will go back. We fought to ensure that the cornerstone of arts funding in Québec receives the resources it needs to fulfill its core mission: to support Québec’s artistic community. We now call on CALQ’s administration to stand up and defend the meaning and essence of that mission.
La Grande mobilisation pour les arts au Québec